Intelligence artificielle et sobriété : antagonisme ou opportunité pour l’ESS ?
Dans un monde en quête de sobriété et de résilience, où la surconsommation est pointée du doigt comme un facteur majeur de crises environnementales et sociales, l’intelligence artificielle (IA) semble à première vue être l’incarnation même du modèle productiviste. Elle est souvent associée à une course à la performance, à la rentabilité et à l’optimisation des ressources dans un cadre purement économique.
Mais alors, comment concilier l’utilisation d’outils d’IA comme ChatGPT avec une démarche qui vise à promouvoir le recyclage, le réemploi, la préservation des ressources et l’économie sociale et solidaire (ESS) ? Une telle approche ne serait-elle pas paradoxale ? Faut-il nécessairement rejeter l’IA sous prétexte que l’on défend un modèle de sobriété et de résilience ?
Loin d’être un frein, l’IA peut, si elle est utilisée avec discernement, être un levier pour une transition écologique et sociale efficace. Il ne s’agit pas d’en faire un dogme, ni de tomber dans une approche naïve, mais bien de repenser son rôle dans un cadre qui favorise la mutualisation, l’optimisation des ressources et la réduction des impacts négatifs.
1. IA et sobriété : un antagonisme apparent
L’IA, par nature, repose sur des infrastructures énergivores. Les data centers, qui hébergent les algorithmes d’intelligence artificielle, consomment énormément d’énergie et nécessitent des ressources rares pour fonctionner. À première vue, son existence semble donc en contradiction totale avec la volonté de limiter notre empreinte écologique.
D’un autre côté, le modèle du low-tech et de l’ESS prône une approche de frugalité, de relocalisation des savoirs et de réduction de notre dépendance aux technologies sophistiquées. Cela peut donner l’impression qu’intégrer des outils d’IA dans une démarche comme celle d’une manufacture collaborative ou d’un Pôle Territorial de Coopération Économique (PTCE) irait à l’encontre des valeurs défendues.
Cependant, cette opposition n’est pas forcément justifiée. L’enjeu n’est pas l’outil lui-même, mais l’usage qui en est fait.
2. Redéfinir la rentabilité dans une logique de sobriété
L’une des grandes forces de l’IA est d’améliorer la rentabilité, en permettant de « faire plus, plus vite ». Mais cette course à l’optimisation peut-elle être mise au service d’une approche de sobriété ?
Plutôt que de voir la rentabilité uniquement sous un prisme économique et productiviste, on peut la repenser dans une logique de réduction des gaspillages et d’amélioration de l’usage des ressources.
L’IA peut être un levier pour une rentabilité écologique et sociale :
- Optimisation des flux de matériaux : dans une manufacture collaborative, l’IA peut aider à mieux gérer le réemploi et la redistribution des ressources.
- Réduction des pertes : l’IA permet d’identifier des inefficacités et d’ajuster les besoins en matières premières pour éviter le gaspillage.
- Amélioration du partage de savoirs : en facilitant l’accès à des bases de connaissances, l’IA peut renforcer l’apprentissage des pratiques de réparation, de réemploi et d’écoconception.
Dans cette optique, l’IA ne doit pas être vue comme un accélérateur de consommation, mais comme un outil de sobriété active. Elle permet de mieux allouer les ressources, de simplifier les processus et d’aider les acteurs de l’ESS à se structurer de manière plus efficace.
3. L’IA, un outil d’inclusivité et de mutualisation des ressources
L’un des principes fondateurs de l’ESS repose sur la mise en commun des savoirs et des ressources. L’IA peut jouer un rôle clé dans cette dynamique en démocratisant l’accès à l’information et en favorisant la collaboration.
Pourquoi l’IA peut-elle être pertinente pour l’ESS ?
- Elle permet aux petites structures d’avoir accès à des outils de gestion et d’analyse qui seraient autrement réservés aux grandes entreprises.
- Elle favorise la mise en réseau et la coordination des initiatives locales en facilitant la gestion des stocks, des flux de matériaux ou des projets collaboratifs.
- Elle permet d’éduquer et de sensibiliser un plus large public aux pratiques de réemploi et de sobriété.
Si elle est utilisée dans cette perspective, l’IA devient un vecteur d’émancipation et de partage des connaissances, au service de la transition écologique et sociale.
4. Peut-on utiliser ChatGPT sans être en contradiction avec les valeurs de l’ESS ?
L’une des critiques majeures à l’utilisation d’outils comme ChatGPT dans un cadre de sobriété concerne son impact environnemental et son usage potentiellement déconnecté des valeurs de l’ESS. Pourtant, plusieurs arguments permettent de justifier son emploi dans un cadre raisonné :
Un usage ciblé et pertinent
L’IA ne doit pas être utilisée pour produire du contenu en masse sans réflexion. Son intérêt réside dans sa capacité à :
- Structurer des idées et accompagner la rédaction de contenus pédagogiques.
- Faciliter l’organisation et la coordination des projets ESS.
- Optimiser des processus liés au recyclage, à la gestion des déchets et à la transmission des savoirs.
L’important est de limiter l’usage de l’IA à ce qui est réellement utile et nécessaire.
Un outil complémentaire, et non un remplacement du travail humain
L’IA ne doit pas être vue comme un substitut aux échanges humains, mais comme un appui pour libérer du temps sur les tâches répétitives et fastidieuses, permettant ainsi aux acteurs de l’ESS de se concentrer sur le relationnel, la transmission des savoirs et le travail manuel.
Un usage encadré pour limiter l’impact environnemental
Il est essentiel d’adopter une posture critique et d’intégrer des critères de sobriété numérique :
- Privilégier les IA accessibles et ouvertes, pour éviter de renforcer les inégalités d’accès aux outils technologiques.
- Limiter l’usage de l’IA aux tâches stratégiques et non à de la production automatique de masse.
- Utiliser des alternatives moins énergivores lorsque possible et favoriser l’intelligence collective humaine avant de recourir à l’IA.
Conclusion : IA et sobriété, un équilibre à trouver
L’IA et l’ESS ne sont pas incompatibles. L’opposition entre high-tech et low-tech est artificielle : le véritable enjeu est de choisir comment et pourquoi on utilise ces outils.
Une approche réfléchie et critique de l’IA permet de la mettre au service d’une transition écologique et sociale plutôt que de la voir comme un simple accélérateur de consommation.
Loin d’être un frein, l’IA peut être un levier de sobriété, d’inclusion et d’optimisation, à condition de l’utiliser de manière raisonnée, dans le respect des valeurs de partage, de coopération et de durabilité.
L’intelligence artificielle n’est pas l’ennemi. Ce qui compte, c’est la manière dont nous choisissons de l’intégrer dans notre modèle de société.
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